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SUR LA SOCIÉTÉ POLITIQUE.

agile, prévoyante et forte ; les particuliers font de petites choses, et l’état d’immenses.

Les âmes ne sont pas énergiques ; mais les mœurs sont douces et les législations humaines. S’il se rencontre peu de grands dévouements, de vertus très-hautes, très-brillantes et très-pures, les habitudes sont rangées, la violence rare, la cruauté presque inconnue. L’existence des hommes devient plus longue et leur propriété plus sûre. La vie n’est pas très-ornée, mais très-aisée et très-paisible. Il y a peu de plaisirs très-délicats et très-grossiers, peu de politesses dans les manières et peu de brutalité dans les goûts. On ne rencontre guère d’hommes très-savants ni de populations très-ignorantes. Le génie devient plus rare et les lumières plus communes. L’esprit humain se développe par les petits efforts combinés de tous les hommes, et non par l’impulsion puissante de quelques-uns d’entre eux. Il y a moins de perfection, mais plus de fécondité dans les œuvres. Tous les liens de race, de classe, de patrie se détendent ; le grand lien de l’humanité se resserre.

Si, parmi tous ces traits divers je cherche celui qui me parait le plus général et le plus frappant, j’arrive à voir que ce qui se remarque dans les fortunes se représente sous mille autres formes. Presque tous les extrêmes s’adoucissent et s’émoussent ; presque tous les points saillants s’effacent