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SUR LA SOCIÉTÉ POLITIQUE.

Chez les Américains, c’est donc la liberté qui est ancienne ; l’égalité est comparativement nouvelle. Le contraire arrive en Europe où l’égalité introduite par le pouvoir absolu, et sous l’œil des rois, avait déjà pénétré dans les habitudes des peuples longtemps avant que la liberté ne fût entrée dans leurs idées.

J’ai dit que chez les peuples démocratiques le gouvernement ne se présentait naturellement à l’esprit humain que sous la forme d’un pouvoir unique et central, et que la notion des pouvoirs intermédiaires ne lui était pas familière. Cela est particulièrement applicable aux nations démocratiques qui ont vu le principe de l’égalité triompher à l’aide d’une révolution violente. Les classes qui dirigeaient les affaires locales disparaissant tout à coup dans cette tempête, et la masse confuse qui reste n’ayant encore ni l’organisation ni les habitudes qui lui permettent de prendre en main l’administration de ces mêmes affaires, on n’aperçoit plus que l’état lui-même qui puisse se charger de tous les détails du gouvernement. La centralisation devient un fait en quelque sorte nécessaire.

Il ne faut ni louer ni blâmer Napoléon d’avoir concentré dans ses seules mains presque tous les pouvoirs administratifs ; car, après la brusque disparition de la noblesse et de la haute bourgeoisie, ces pouvoirs lui arrivaient d’eux-mêmes ; il lui eût