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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

haut, et surtout d’être rangé trop bas: ce double péril tient constamment son esprit à la gêne, et embarrasse sans cesse ses actions comme ses discours.

La tradition lui a appris qu’en Europe le cérémonial variait à l’infini suivant les conditions ; ce souvenir d’un autre temps achève de le troubler, et il redoute d’autant plus de ne pas obtenir les égards qui lui sont dus, qu’il ne sait pas précisément en quoi ils consistent. Il marche donc toujours ainsi qu’un homme environné d’embûches ; la société n’est pas pour lui un délassement, mais un sérieux travail. Il pèse vos moindres démarches, interroge vos regards, et analyse avec soin tous vos discours, de peur qu’ils ne renferment quelques allusions cachées qui le blessent. Je ne sais s’il s’est jamais rencontré de gentilhomme campagnard plus pointilleux que lui sur l’article du savoir-vivre ; il s’efforce d’obéir lui-même aux moindres lois de l’étiquette, et il ne souffre pas qu’on en néglige aucune envers lui ; il est tout à la fois plein de scrupule et d’exigence ; il désirerait faire assez, mais il craint de faire trop, et, comme il ne connaît pas bien les limites de l’un et de l’autre, il se tient dans une réserve embarrassée et hautaine.

Ce n’est pas tout encore, et voici bien un autre détour du cœur humain.