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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

armées démocratiques de vieux officiers, elle donne encore à tous les officiers des habitudes de corps et d’esprit qui les rendent peu propres à la guerre. Celui qui a longtemps vécu au milieu de l’atmosphère paisible et tiède des mœurs démocratiques se plie d’abord malaisément aux rudes travaux et aux austères devoirs que la guerre impose. S’il n’y perd pas absolument le goût des armes, il y prend du moins des façons de vivre qui l’empêchent de vaincre.

Chez les peuples aristocratiques, la mollesse de la vie civile exerce moins d’influence sur les mœurs militaires, parce que, chez ces peuples, c’est l’aristocratie qui conduit l’armée. Or, une aristocratie, quelque plongée qu’elle soit dans les délices, a toujours plusieurs autres passions que celles du bien-être, et elle fait volontiers le sacrifice momentané de son bien-être, pour mieux satisfaire ces passions-là.

J’ai montré comment, dans les armées démocratiques, en temps de paix, les lenteurs de l’avancement sont extrêmes. Les officiers supportent d’abord cet état de choses avec impatience ; ils s’agitent, s’inquiètent et se désespèrent ; mais, à la longue, la plupart d’entre eux se résignent. Ceux qui ont le plus d’ambition et de ressources sortent de l’armée ; les autres, proportionnant enfin leurs goûts et leurs désirs à la médiocrité de leur sort,