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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

tiques est ainsi devenu le principal, le tout, l’existence elle-même.

Sous l’ancienne monarchie française, on ne donnait aux officiers que leur titre de noblesse. De nos jours, on ne leur donne que leur titre militaire. Ce petit changement des formes du langage suffit pour indiquer qu’une grande révolution s’est opérée dans la constitution de la société et dans celle de l’armée.

Au sein des armées démocratiques, le désir d’avancer est presque universel ; il est ardent, tenace, continuel ; il s’accroît de tous les autres désirs, et ne s’éteint qu’avec la vie. Or il est facile de voir que de toutes les armées du monde, celles où l’avancement doit être le plus lent en temps de paix sont les armées démocratiques. Le nombre des grades étant naturellement limité, le nombre des concurrents presque innombrable, et la loi inflexible de l’égalité pesant sur tous, nul ne saurait faire de progrès rapides, et beaucoup ne peuvent bouger de place. Ainsi le besoin d’avancer y est plus grand, et la facilité d’avancer moindre qu’ailleurs.

Tous les ambitieux que contient une armée démocratique souhaitent donc la guerre avec véhémence, parce que la guerre vide les places et permet enfin de violer ce droit de l’ancienneté, qui est le seul privilège naturel à la démocratie.