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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

qui brûlent en secret et sans fruit le cœur qui les contient.

Peu à peu cependant les dernières traces de la lutte s’effacent ; les restes de l’aristocratie achèvent de disparaître. On oublie les grands événements qui ont accompagné sa chute ; le repos succède à la guerre, l’empire de la règle renaît au sein du monde nouveau ; les désirs s’y proportionnent aux moyens ; les besoins, les idées et les sentiments s’enchaînent ; les hommes achèvent de se niveler : la société démocratique est enfin assise.

Si nous considérons un peuple démocratique parvenu à cet état permanent et normal, il nous présentera un spectacle tout différent de celui que nous venons de contempler, et nous pourrons juger sans peine que, si l’ambition devient grande tandis que les conditions s’égalisent, elle perd ce caractère quand elles sont égales.

Comme les grandes fortunes sont partagées, et que la science s’est répandue, nul n’est absolument privé de lumières ni de biens ; les privilèges et les incapacités de classes étant abolies, et les hommes ayant brisé pour jamais les liens qui les tenaient immobiles, l’idée du progrès s’offre à l’esprit de chacun d’eux ; l’envie de s’élever naît à la fois dans tous les cœurs ; chaque homme veut sortir de sa place. L’ambition est le sentiment universel.