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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

Quand ces différentes opinions ont pris naissance, la noblesse formait un corps à part au milieu du peuple, qu’elle dominait des hauteurs inaccessibles où elle s’était retirée. Pour maintenir cette position particulière qui faisait sa force, elle n’avait pas seulement besoin de privilèges politiques : il lui fallait des vertus et des vices à son usage.

Que telle vertu ou tel vice appartint à la noblesse plutôt qu’à la roture ; que telle action fût indifférente quand elle avait un vilain pour objet, ou condamnable quand il s’agissait d’un noble, voilà ce qui était souvent arbitraire ; mais qu’on attachât de l’honneur ou de la honte aux actions d’un homme suivant sa condition, c’est ce qui résultait de la constitution même d’une société aristocratique. Cela s’est vu, en effet, dans tous les pays qui ont eu une aristocratie. Tant qu’il en reste un seul vestige, ces singularités se retrouvent : débaucher une fille de couleur nuit à peine à la réputation d’un Américain ; l’épouser le déshonore.

Dans certains cas, l’honneur féodal prescrivait la vengeance et flétrissait le Pardon des injures ; dans d’autres, il commandait impérieusement aux hommes de se vaincre, il ordonnait l’oubli de soi-même. Il ne faisait point une loi de l’humanité, ni de la douceur ; mais il vantait la générosité ; il pri-