Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
99
SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

êtres dissemblables, mais à obtenir que chacun d’eux s’acquittât le mieux possible de sa tâche. Les Américains ont appliqué aux deux sexes le grand principe d’économie politique qui domine de nos jours l’industrie. Ils ont soigneusement divisé les fonctions de l’homme et de la femme, afin que le grand travail social fût mieux fait.

L’Amérique est le pays du monde où l’on a pris le soin le plus continuel de tracer aux deux sexes des lignes d’action nettement séparées ; et où l’on a voulu que tous deux marchassent d’un pas égal, mais dans des chemins toujours différents. Vous ne voyez point d’Américaines diriger les affaires extérieures de la famille, conduire un négoce, ni pénétrer enfin dans la sphère politique ; mais on n’en rencontre point non plus qui soient obligées de se livrer aux rudes travaux du labourage, ni à aucun des exercices pénibles qui exigent le développement de la force physique. Il n’y a pas de familles si pauvres qui fassent exception à cette règle. Si l’Américaine ne peut point s’échapper du cercle paisible des occupations domestiques, elle n’est, d’autre part, jamais contrainte d’en sortir.

De là vient que les Américaines, qui font souvent voir une mâle raison et une énergie toute virile, conservent en général une apparence très-délicate, et restent toujours femmes par les manières, bien