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SUR LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

nous sommes, et parmi tant de nations lettrées, que tourmente incessamment l’ardeur de l’industrie, les liens qui unissent entre elles les différentes parties de la science ne peuvent manquer de frapper les regards ; et le goût même de la pratique, s’il est éclairé, doit porter les hommes à ne point négliger la théorie. Au milieu de tant d’essais d’applications, de tant d’expériences chaque jour répétées, il est comme impossible que, souvent des lois très-générales ne viennent pas à apparaître ; de telle sorte que les grandes découvertes seraient fréquentes, bien que les grands inventeurs fussent rares.

Je crois d’ailleurs aux hautes vocations scientifiques. Si la démocratie ne porte point les hommes à cultiver les sciences pour elles-mêmes, d’une autre part elle augmente immensément le nombre de ceux qui les cultivent. Il n’est pas à croire que, parmi une si grande multitude, il ne naisse point de temps en temps quelque génie spéculatif, que le seul amour de la vérité enflamme. On peut être assuré que celui-là s’efforcera de percer les plus profonds mystères de la nature, quel que soit l’esprit de son pays et de son temps. Il n’est pas besoin d’aider son essor ; il suffit de ne point l’arrêter. Tout ce que je veux dire est ceci : l’inégalité permanente de conditions porte les hommes à se renfermer dans la recherche orgueilleuse et stérile