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SUR LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

lité à le mettre en pratique, vil, bas et mercenaire, il employa son esprit et son étude à écrire seulement choses dont la beauté et la subtilité ne fût aucunement mêlée avec nécessité. » Voilà la visée aristocratique des sciences.

Elle ne saurait être la même chez les nations démocratiques.

La plupart des hommes qui composent ces nations sont fort avides de jouissances matérielles et présentes, comme ils sont toujours mécontents de la position qu’ils occupent, et toujours libres de la quitter, ils ne songent qu’aux moyens de changer leur fortune ou de l’accroître. Pour des esprits ainsi disposés, toute méthode nouvelle qui mène par un chemin plus court à la richesse, toute machine qui abrège le travail, tout instrument qui diminue les frais de la production, toute découverte qui facilite les plaisirs et les augmente, semble le plus magnifique effort de l’intelligence humaine. C’est principalement par ce côté que les peuples démocratiques s’attachent aux sciences, les comprennent et les honorent. Dans les siècles aristocratiques on demande particulièrement aux sciences les jouissances de l’esprit ; dans les démocraties, celles du corps.

Comptez que plus une nation est démocratique, éclairée et libre, plus le nombre de ces apprécia-