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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

rales qu’il avait mises en lumière. Mais il parut néanmoins se prêter, autant qu’il était en lui, aux tendances nouvelles que le fractionnement de l’espèce humaine faisait naître. Les hommes continuèrent à n’adorer qu’un seul Dieu créateur et conservateur de toutes choses ; mais chaque peuple, chaque cité, et, pour ainsi dire, chaque homme, crut pouvoir obtenir quelque privilège à part et se créer des protecteurs particuliers auprès du souverain maître. Ne pouvant diviser la Divinité, l’on multiplia du moins et l’on grandit outre mesure ses agents ; l’hommage dû aux anges et aux saints devint pour la plupart des chrétiens un culte presque idolâtre, et l’on put craindre un moment que la religion chrétienne ne rétrogradât vers les religions qu’elle avait vaincues.

Il me paraît évident que plus les barrières qui séparaient les nations dans le sein de l’humanité et les citoyens dans l’intérieur de chaque peuple tendent à disparaître, plus l’esprit humain se dirige, comme de lui-même, vers l’idée d’un être unique et tout puissant, dispensant également et de la même manière les mêmes lois à chaque homme. C’est donc particulièrement dans ces siècles de démocratie qu’il importe de ne pas laisser confondre l’hommage rendu aux agents secondaires avec le culte qui n’est dû qu’au Créateur.