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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

seille de le faire, et la coutume l’a préparé d’avance à le souffrir.

Que s’il a conçu des doutes sur l’objet de ses espérances, il ne s’y laissera point aisément arrêter, et il jugera qu’il est sage de hasarder quelques uns des biens de ce monde pour conserver ses droits à l’immense héritage qu’on lui promet dans l’autre.

« De se tromper en croyant la religion chrétienne vraie, a dit Pascal, il n’y a pas grand’chose à perdre ; mais quel malheur de se tromper en la croyant fausse ! »

Les Américains n’affectent point une indifférence grossière pour l’autre vie ; ils ne mettent pas un puéril orgueil à mépriser des périls auxquels ils espèrent se soustraire.

Ils pratiquent donc leur religion sans honte et sans faiblesse ; mais on voit d’ordinaire, jusqu’au milieu de leur zèle, je ne sais quoi de si tranquille de si méthodique et de si calculé, qu’il semble que ce soit la raison bien plus que le cœur qui les conduit au pied des autels.

Non seulement les Américains suivent leur religion par intérêt, mais ils placent souvent dans ce monde l’intérêt qu’on peut avoir à la suivre. Au moyen âge, les prêtres ne parlaient que de l’autre vie ; ils ne s’inquiétaient guère de prouver qu’un chrétien sincère peut être un homme heureux ici-bas.