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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Je ne craindrai pas de dire que la doctrine de l’intérêt bien entendu me semble, de toutes les théories philosophiques, la mieux appropriée aux besoins des hommes de notre temps, et que j’y vois la plus puissante garantie qui leur reste contre eux-mêmes. C’est donc principalement vers elle que l’esprit des moralistes de nos jours doit se tourner. Alors même qu’ils la jugeraient imparfaite, il faudrait encore l’adopter comme nécessaire.

Je ne crois pas, à tout prendre, qu’il y ait plus d’égoïsme parmi nous qu’en Amérique ; la seule différence, c’est que là il est éclairé et qu’ici il ne l’est point. Chaque Américain sait sacrifier une partie de ses intérêts particuliers pour sauver le reste. Nous voulons tout retenir, et souvent tout nous échappe.

Je ne vois autour de moi que des gens qui semblent vouloir enseigner chaque jour à leurs contemporains, par leur parole et leur exemple, que l’utile n’est jamais déshonnête. N’en découvrirai-je donc point enfin qui entreprennent de leur faire comprendre comment l’honnête peut être utile ?

Il n’y a pas de pouvoir sur la terre qui puisse empêcher que l’égalité croissante des conditions ne porte l’esprit humain vers la recherche de l’utile, et ne dispose chaque citoyen a se resserrer en lui-même.