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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Athènes ; ils entendent qu’on leur parle d’eux-mêmes, et c’est le tableau du présent qu’ils demandent.

Aussi, quand les héros et les mœurs de l’antiquité sont reproduits souvent sur la scène, et qu’on a soin d’y rester très-fidèle aux traditions antiques, cela suffit pour en conclure que les classes démocratiques ne dominent point encore au théâtre.

Racine s’excuse fort humblement, dans la préface de Britannicus, d’avoir fait entrer Junie au nombre des vestales, où, selon Aulu-Gelle, dit-il, « on ne recevait personne au-dessous de six ans, ni au-dessus de dix. » Il est à croire qu’il n’eût pas songé à s’accuser ou à se défendre d’un pareil crime s’il avait écrit de nos jours.

Un semblable fait m’éclaire, non seulement sur l’état de la littérature dans les temps où il a lieu, mais encore sur celui de la société elle-même. Un théâtre démocratique ne prouve point que la nation est en démocratie ; car, comme nous venons de le voir, dans les aristocraties mêmes il peut arriver que les goûts démocratiques influent sur la scène ; mais, quand l’esprit de l’aristocratie règne seul au théâtre, cela démontre invinciblement que la société tout entière est aristocratique, et l’on peut hardiment en conclure que cette même classe érudite et lettrée, qui dirige les auteurs, commande les citoyens et mène les affaires.