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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

agrandit la nature, celui-là est le poëte. Ainsi, la poésie n’aura pas pour but de représenter le vrai, mais de l’orner, et d’offrit à l’esprit une image supérieure.

Les vers me paraîtront comme le beau idéal du langage, et, dans ce sens, ils seront éminemment poétiques ; mais, à eux seuls, ils ne constitueront pas la poésie.

Je veux rechercher si parmi les actions, les sentiments et les idées des peuples démocratiques, il ne s’en rencontre pas quelques-uns qui se prêtent à l’imagination de l’idéal et qu’on doive, pour cette raison, considérer comme des sources naturelles de poésie.

Il faut d’abord reconnaître que le goût de l’idéal et le plaisir que l’on prend à en voir la peinture ne sont jamais aussi vifs et aussi répandus chez un peuple démocratique qu’au sein d’une aristocratie.

Chez les nations aristocratiques, il arrive quelquefois que le corps agit comme de lui-même, tandis que l’âme est plongée dans un repos qui lui pèse. Chez ces nations, le peuple lui-même fait souvent voir des goûts poétiques, et son esprit s’élance parfois au-delà et au-dessus de ce qui l’environne.

Mais, dans les démocraties, l’amour des jouissances matérielles, l’idée du mieux, la concurrence, le charme prochain du succès, sont comme