Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 3.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

férence à ceux dont l’objet est de l’embellir ; elles préféreront habituellement l’utile au beau, et elles voudront que le beau soit utile.

Mais je prétends aller plus avant, et après avoir indiqué le premier trait, en dessiner plusieurs autres.

Il arrive d’ordinaire que dans les siècles de priviléges, l’exercice de presque tous les arts devient un privilége, et que chaque profession est un monde à part où il n’est pas loisible à chacun d’entrer. Et lors même que l’industrie est libre, l’immobilité naturelle aux nations aristocratiques, fait que tous ceux qui s’occupent d’un même art, finissent néanmoins par former une classe distincte, toujours composée des mêmes familles, dont tous les membres se connaissent, et où il naît bientôt une opinion publique et un orgueil de corps. Dans une classe industrielle de cette espèce, chaque artisan n’a pas seulement sa fortune à faire, mais sa considération à garder. Ce n’est pas seulement son intérêt qui fait sa règle, ni même celui de l’acheteur, mais celui du corps, et l’intérêt du corps est que chaque artisan produise des chefs-d’œuvre. Dans les siècles aristocratiques, la visée des arts est donc de faire le mieux possible, et non le plus vite, ni au meilleur marché.

Lorsqu’au contraire chaque profession est ouverte à tous, que la foule y entre et en sort sans