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DU GOUVERNEMENT DE LA DÉMOCRATIE.

d’un gouvernement qui se borne seulement à commander au nom du peuple.

Il n’y a rien de si irrésistible qu’un pouvoir tyrannique qui commande au nom du peuple, parce qu’étant revêtu de la puissance morale qui appartient aux volontés du plus grand nombre, il agit en même temps avec la décision, la promptitude et la ténacité qu’aurait un seul homme.

Il est assez difficile de dire de quel degré d’effort est capable un gouvernement démocratique en temps de crise nationale.

On n’a jamais vu jusqu’à présent de grande république démocratique. Ce serait faire injure aux républiques que d’appeler de ce nom l’oligarchie qui régnait sur la France en 1793. Les États-Unis seuls présentent ce spectacle nouveau.

Or, depuis un demi-siècle que l’Union est formée, son existence n’a été mise en question qu’une seule fois, lors de la guerre de l’Indépendance. Au commencement de cette longue guerre, il y eut des traits extraordinaires d’enthousiasme pour le service de la patrie[1]. Mais à mesure que la lutte se prolongeait, on voyait reparaître l’égoïsme individuel : l’argent n’arrivait plus au trésor public ; les hommes ne se présentaient plus à l’armée ; le peuple voulait encore l’indépendance, mais il reculait devant les moyens de l’obtenir. « En vain nous avons multiplié les taxes et

  1. L’un des plus singuliers, à mon avis, fut la résolution par laquelle les Américains renoncèrent momentanément à l’usage du thé. Ceux qui savent que les hommes tiennent plus en général à leurs habitudes qu’à leur vie, s’étonneront sans doute de ce grand et obscur sacrifice obtenu de tout un peuple.