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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

au congrès et croître ceux du Nord et de l’Ouest ; le Sud, peuplé d’hommes ardents et irascibles, s’irrite et s’inquiète. Il tourne avec chagrin ses regards sur lui-même ; interrogeant le passé, il se demande chaque jour s’il n’est point opprimé. Vient-il à découvrir qu’une loi de l’Union ne lui est pas évidemment favorable, il s’écrie qu’on abuse à son égard de la force ; il réclame avec ardeur, et si sa voix n’est point écoutée, il s’indigne, et menace de se retirer d’une société dont il a les charges sans avoir les profits.

« Les lois du tarif, disaient les habitants de la Caroline en 1832, enrichissent le Nord et ruinent le Sud ; car, sans cela, comment pourrait-on concevoir que le Nord, avec son climat inhospitalier et son sol aride, augmentât sans cesse ses richesses et son pouvoir, tandis que le Sud, qui forme comme le jardin de l’Amérique, tombe rapidement en décadence[1] ? »

Si les changements dont j’ai parlé s’opéraient graduellement, de manière que chaque génération ait au moins le temps de passer avec l’ordre de choses dont elle a été le témoin, le danger serait moindre ; mais il y a quelque chose de précipité, je pourrais presque dire de révolutionnaire, dans les progrès que fait la société en Amérique. Le même citoyen a pu voir son État marcher à la tête de l’Union et devenir ensuite impuissant dans les conseils fédéraux. Il y a telle république anglo-américaine qui a grandi aussi vite qu’un homme, et qui est née, a crû et est arrivée à maturité en trente ans.

  1. Voyez le rapport fait par son comité à la Convention, qui a proclamé la nullification dans la Caroline du Sud.