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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

une force que celles-ci lui refusent. Lorsque des peuples confédérés se réunissent dans une seule souveraineté, les mêmes causes agissent en sens contraire. Je ne doute point que si la France devenait une république confédérée comme celle des États-Unis, le gouvernement ne s’y montrât d’abord plus énergique que celui de l’Union ; et si l’Union se constituait en monarchie comme la France, je pense que le gouvernement américain resterait pendant quelque temps plus débile que le nôtre. Au moment où la vie nationale a été créée chez les Anglo-Américains, l’existence provinciale était déjà ancienne, des rapports nécessaires s’étaient établis entre les communes et les individus des mêmes États ; on s’y était habitué à considérer certains objets sous un point de vue commun, et à s’occuper exclusivement de certaines entreprises comme représentant un intérêt spécial.

L’Union est un corps immense qui offre au patriotisme un objet vague à embrasser. L’État a des formes arrêtées et des bornes circonscrites ; il représente un certain nombre de choses connues et chères à ceux qui l’habitent. Il se confond avec l’image même du sol, s’identifie à la propriété, à la famille, aux souvenirs du passé, aux travaux du présent, aux rêves de l’avenir. Le patriotisme, qui le plus souvent n’est qu’une extension de l’égoïsme individuel, est donc resté dans l’État, et n’a pour ainsi dire point passé à l’Union.

Ainsi les intérêts, les habitudes, les sentiments, se réunissent pour concentrer la véritable vie politique dans l’État, et non dans l’Union.

On peut facilement juger de la différence des forces