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ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

Le gouvernement de l’Union veille sur les intérêts généraux du pays ; mais les intérêts généraux d’un peuple n’ont qu’une influence contestable sur le bonheur individuel.

Les affaires de la province influent au contraire visiblement sur le bien-être de ceux qui l’habitent.

L’Union assure l’indépendance et la grandeur de la nation, choses qui ne touchent pas immédiatement les particuliers. L’État maintient la liberté, règle les droits, garantit la fortune, assure la vie, l’avenir tout entier de chaque citoyen.

Le gouvernement fédéral est placé à une grande distance de ses sujets ; le gouvernement provincial est à la portée de tous. Il suffit d’élever la voix pour être entendu de lui. Le gouvernement central a pour lui les passions de quelques hommes supérieurs qui aspirent à le diriger : du côté du gouvernement provincial se trouve l’intérêt des hommes de second ordre qui n’espèrent obtenir de puissance que dans leur État ; et ce sont ceux-là qui, placés près du peuple, exercent sur lui le plus de pouvoir.

Les Américains ont donc bien plus à attendre et à craindre de l’État que de l’Union ; et, suivant la marche naturelle du cœur humain, ils doivent s’attacher bien plus vivement au premier qu’à la seconde.

En ceci les habitudes et les sentiments sont d’accord avec les intérêts.

Quand une nation compacte fractionne sa souveraineté et arrive à l’état de confédération, les souvenirs, les usages, les habitudes, luttent long-temps contre les lois et donnent au gouvernement central