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ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

race blanche et la race noire en viennent nulle part à vivre sur un pied d’égalité.

Mais je crois que la difficulté sera bien plus grande encore aux États-Unis que partout ailleurs. Il arrive qu’un homme se place en dehors des préjugés de religion, de pays, de race, et si cet homme est roi, il peut opérer de surprenantes révolutions dans la société : un peuple tout entier ne saurait se mettre ainsi en quelque sorte au-dessus de lui-même.

Un despote venant à confondre les Américains et leurs anciens esclaves sous le même joug parviendrait peut-être à les mêler : tant que la démocratie américaine restera à la tête des affaires, nul n’osera tenter une pareille entreprise, et l’on peut prévoir que, plus les blancs des États-Unis seront libres, plus ils chercheront à s’isoler[1].

J’ai dit ailleurs que le véritable lien entre l’Européen et l’Indien était le métis ; de même la véritable transition entre le blanc et le nègre, c’est le mulâtre : partout où il se trouve un très grand nombre de mulâtres, la fusion entre les deux races n’est pas impossible.

Il y a des parties de l’Amérique où l’Européen et le nègre se sont tellement croisés, qu’il est difficile de rencontrer un homme qui soit tout-à-fait blanc ou tout-à-fait noir : arrivées a ce point, on peut réellement dire que les races se sont mêlées ; ou plutôt, à leur place, il en est survenu une troisième qui tient des deux sans être précisément ni l’une ni l’autre.

  1. Si les Anglais des Antilles s’étaient gouvernés eux-mêmes, on peut compter qu’ils n’eussent pas accordé l’acte d’émancipation que la mère patrie vient d’imposer.