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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

du bien-être et des progrès ; là il est dégradé, ici on l’honore ; sur la rive gauche du fleuve, on ne peut trouver d’ouvriers appartenant à la race blanche, ils craindraient de ressembler à des esclaves ; il faut s’en rapporter aux soins des nègres ; sur la rive droite on chercherait en vain un oisif : le blanc étend à tous les travaux son activité et son intelligence.

Ainsi donc les hommes qui, dans le Kentucky, sont chargés d’exploiter les richesses naturelles du sol, n’ont ni zèle, ni lumière ; tandis que ceux qui pourraient avoir ces deux choses ne font rien, ou passent dans l’Ohio, afin d’utiliser leur industrie et de pouvoir l’exercer sans honte.

Il est vrai que dans le Kentucky les maîtres font travailler les esclaves sans être obligés de les payer, mais ils tirent peu de fruits de leurs efforts, tandis que l’argent qu’ils donneraient aux ouvriers libres se retrouverait avec usure dans le prix de leurs travaux.

L’ouvrier libre est payé, mais il fait plus vite que l’esclave, et la rapidité de l’exécution est un des grands éléments de l’économie. Le blanc vend ses secours, mais on ne les achète que quand ils sont utiles ; le noir n’a rien à réclamer pour prix de ses services, mais on est obligé de le nourrir en tout temps ; il faut le soutenir dans sa vieillesse comme dans son âge mûr, dans sa stérile enfance comme durant les années fécondes de sa jeunesse, pendant la maladie comme en santé. Ainsi ce n’est qu’en payant qu’on obtient le travail de ces deux hommes : l’ouvrier libre reçoit un salaire ; l’esclave, une éducation, des aliments, des soins, des vêtements ; l’argent que dépense