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ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

Les anciens avaient donc un moyen bien simple de se délivrer de l’esclavage et de ses suites ; ce moyen était l’affranchissement, et dès qu’ils l’ont employé d’une manière générale, ils ont réussi.

Ce n’est pas que, dans l’antiquité, les traces de la servitude ne subsistassent encore quelque temps après que la servitude était détruite.

Il y a un préjugé naturel qui porte l’homme à mépriser celui qui a été son inférieur, long-temps encore après qu’il est devenu son égal ; à l’inégalité réelle que produit la fortune ou la loi, succède toujours une inégalité imaginaire qui a ses racines dans les mœurs ; mais chez les anciens, cet effet secondaire de l’esclavage avait un terme. L’affranchi ressemblait si fort aux hommes d’origine libre, qu’il devenait bientôt impossible de le distinguer au milieu d’eux.

Ce qu’il y avait de plus difficile chez les anciens, était de modifier la loi ; chez les Modernes, c’est de changer les mœurs, et, pour nous, la difficulté réelle commence où l’antiquité la voyait finir.

Ceci vient de ce que chez les modernes le fait immatériel et fugitif de l’esclavage se combine de la manière la plus funeste avec le fait matériel et permanent de la différence de race. Le souvenir de l’esclavage déshonore la race, et la race perpétue le souvenir de l’esclavage.

Il n’y a pas d’Africain qui soit venu librement sur les rivages du Nouveau-Monde ; d’où il suit que tous ceux qui s’y trouvent de nos jours sont esclaves ou

    étaient ou avaient été des esclaves : Ésope et Térence sont de ce nombre. Les esclaves n’étaient pas toujours pris parmi les nations barbares : la guerre mettait des hommes très civilisés dans la servitude.