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ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

Les Indiens de l’Amérique du Nord n’avaient que deux votes de salut : la guerre ou la civilisation ; en d’autres termes, il leur fallait détruire les Européens ou devenir leurs égaux.

À la naissance des colonies, il leur eût été possible, en unissant leurs forces, de se délivrer du petit nombre d’étrangers qui venaient d’aborder sur les rivages du continent[1]. Plus d’une fois ils ont tenté de le faire et se sont vus sur le point d’y réussir. Aujourd’hui la disproportion des ressources est trop grande pour qu’ils puissent songer à une pareille entreprise. Il s’élève encore cependant, parmi les nations indiennes, des hommes de génie qui prévoient le sort final réservé aux populations sauvages et cherchent à réunir toutes les tribus dans la haine commune des Européens ; mais leurs efforts sont impuissants. Les peuplades qui avoisinent les blancs sont déjà trop affaiblies pour offrir une résistance efficace ; les autres, se livrant à cette insouciance puérile du lendemain qui caractérise la nature sauvage, attendent que le danger se présente pour s’en occuper ; les uns ne peuvent, les autres ne veulent point agir.

Il est facile de prévoir que les Indiens ne voudront jamais se civiliser, ou qu’ils l’essaieront trop tard, quand ils viendront à le vouloir.

    n’eût pas lieu, il faudrait que nos frontières cessassent de s’étendre, et que les sauvages se fixassent au-delà, ou bien qu’il s’opérât un changement complet dans nos rapports avec eux, ce qu’il serait peu raisonnable d’attendre. »

  1. Voyez entre autres la guerre entreprise par les Wamponoags, et les autres tribus confédérées, sous la conduite de Métacom, en 1675, contre les colons de la Nouvelle-Angleterre, et celle que les Anglais eurent à soutenir en 1622 dans la Virginie.