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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

il s’adresse, de laisser là les principes pour saisir les hommes ; de suivre ceux-ci dans leur vie privée, et de mettre à nu leurs faiblesses et leurs vices.

Il faut déplorer un pareil abus de la pensée ; plus tard, j’aurai occasion de rechercher quelle influence exercent les journaux sur le goût et la moralité du peuple américain ; mais, je le répète, je ne m’occupe en ce moment que du monde politique. On ne peut se dissimuler que les effets politiques de cette licence de la presse ne contribuent indirectement au maintien de la tranquillité publique. Il en résulte que les hommes qui ont déjà une position élevée dans l’opinion de leurs concitoyens n’osent point écrire dans les journaux, et perdent ainsi l’arme la plus redoutable dont ils puissent se servir pour remuer à leur profit les passions populaires[1]. Il en résulte surtout que les vues personnelles exprimées par les journalistes ne sont pour ainsi dire d’aucun poids aux yeux des lecteurs. Ce qu’ils cherchent dans un journal, c’est la connaissance des faits ; ce n’est qu’en altérant ou en dénaturant ces faits que le journaliste peut acquérir à son opinion quelque influence.

Réduite à ces seules ressources, la presse exerce encore un immense pouvoir en Amérique. Elle fait circuler la vie politique dans toutes les portions de ce vaste territoire. C’est elle dont l’œil toujours ouvert met sans cesse à nu les secrets ressorts de la politique, et force les hommes publics à venir tour à

  1. Ils n’écrivent dans les journaux que dans les cas rares où ils veulent s’adresser au peuple et parler en leur propre nom : lorsque, par exemple, on a répandu sur leur compte des imputations calomnieuses, et qu’ils désirent rétablir la vérité des faits.