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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

Toutefois, je ne m’exagère point cet avantage, et je suis plus loin encore de croire, ainsi qu’un grand nombre de gens en Europe, qu’il suffise d’apprendre aux hommes à lire et à écrire pour en faire aussitôt des citoyens.

Les véritables lumières naissent principalement de l’expérience, et si l’on n’avait pas habitué peu à peu les Américains à se gouverner eux-mêmes, les connaissances littéraires qu’ils possèdent ne leur seraient point aujourd’hui d’un grand secours pour y réussir.

J’ai beaucoup vécu avec le peuple aux États-Unis, et je ne saurais dire combien j’ai admiré son expérience et son bon sens.

N’amenez pas l’Américain à parler de l’Europe ; il montrera d’ordinaire une grande présomption et un assez sot orgueil. Il se contentera de ces idées générales et indéfinies qui, dans tous les pays, sont d’un si grand secours aux ignorants. Mais interrogez-le sur son pays, et vous verrez se dissiper tout-à-coup le nuage qui enveloppait son intelligence : son langage deviendra clair, net et précis, comme sa pensée. Il vous apprendra quels sont ses droits et de quels moyens il doit se servir pour les exercer ; il saura suivant quels usages se mène le monde politique. Vous apercevrez que les règles de l’administration lui sont connues, et qu’il s’est rendu familier le mécanisme des lois. L’habitant des États-Unis n’a pas puisé dans les livres ces connaissances pratiques et ces notions positives : son éducation littéraire a pu le préparer à les recevoir, mais ne les lui a point fournies.

C’est en participant à la législation que l’Américain