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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

montré dans l’arène politique comme un joueur sans pudeur et sans frein. Il a réussi ; mais l’heure de la justice approche ; bientôt il lui faudra rendre ce qu’il a gagné, jeter loin de lui son détrompeur, et finir dans quelque retraite où il puisse blasphémer en liberté contre sa folie ; car le repentir n’est point une vertu qu’il ait été donné à son cœur de jamais connaître. »

(Vincenne’s Gazette.)

Bien des gens en France s’imaginent que la violence de la presse tient parmi nous à l’instabilité de l’état social, à nos passions politiques, et au malaise général qui en est la suite. Ils attendent donc sans cesse une époque où la société reprenant une assiette tranquille, la presse à son tour deviendra calme. Pour moi, j’attribuerais volontiers aux causes indiquées plus haut l’extrême ascendant qu’elle a sur nous ; mais je ne pense point que ces causes influent beaucoup sur son langage. La presse périodique me paraît avoir des instincts et des passions à elle, indépendamment des circonstances au milieu desquelles elle agit. Ce qui se passe en Amérique achève de me le prouver.

L’Amérique est peut-être, en ce moment, le pays du monde qui renferme dans son sein le moins de germes de révolution. En Amérique, cependant, la presse a les mêmes goûts destructeurs qu’en France, et la même violence sans les mêmes causes de colère. En Amérique, comme en France, elle est cette puissance extraordinaire, si étrangement mélangée de biens et de maux, que sans elle la liberté ne saurait