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CAUSES QUI MAINTIENNENT LA DÉMOCRATIE.

cher un refuge en cet endroit. Mais combien son œuvre avait changé de face ! Le bois que jadis il avait coupé à a hâte pour s’en faire un abri avait depuis poussé des rejetons ; ses clôtures étaient devenues des haies vives, et sa cabane était transformée en un bosquet. Au milieu de ces arbustes, on apercevait encore quelques pierres noircies par le feu, répandues autour d’un petit tas de cendres ; c’était sans doute dans ce lieu qu’était le foyer : la cheminée, en s’écroulant, l’avait couvert de ses débris. Quelque temps j’admirai en silence les ressources de la nature et la faiblesse de l’homme ; et lorsque enfin il fallut m’éloigner de ces lieux enchantés, je répétai encore avec tristesse : Quoi ! déjà des ruines !

En Europe, nous sommes habitués à regarder comme un grand danger social l’inquiétude de l’esprit, le désir immodéré des richesses, l’amour extrême de l’indépendance. Ce sont précisément toutes ces choses qui garantissent aux républiques américaines un long et paisible avenir. Sans ces passions inquiètes, la population se concentrerait autour de certains lieux et éprouverait bientôt, comme parmi nous, des besoins difficiles à satisfaire. Heureux pays que le Nouveau-Monde, où les vices de l’homme sont presque aussi utiles à la société que ses vertus !

Ceci exerce une grande influence sur la manière dont on juge les actions humaines dans les deux hémisphères. Souvent les Américains appellent une louable industrie ce que nous nommons l’amour du gain, et ils voient une certaine lâcheté de cœur dans ce que nous considérons comme la modération des désirs.

En France, on regarde la simplicité des goûts, la