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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

Rien ne saurait se comparer à ce déplacement continuel de l’espèce humaine, sinon peut-être ce qui arriva à la chute de l’Empire romain. On vit alors comme aujourd’hui les hommes accourir tous en foule vers le même point et se rencontrer tumultueusement dans les mêmes lieux ; mais les desseins de la Providence étaient différents. Chaque nouveau venu traînait à sa suite la destruction et la mort ; aujourd’hui chacun d’eux apporte avec soi un germe de prospérité et de vie.

Les conséquences éloignées de cette migration des Américains vers l’Occident nous sont encore cachées par l’avenir, mais les résultats immédiats sont faciles à reconnaître : une partie des anciens habitants s’éloignant chaque année des États où ils ont reçu la naissance, il arrive que ces États ne se peuplent que très lentement, quoiqu’ils vieillissent ; c’est ainsi que dans le Connecticut, qui ne compte encore que cinquante-neuf habitants par mille carré, la population n’a crû que d’un quart depuis quarante ans, tandis qu’en Angleterre elle s’est augmentée d’un tiers durant la même période. L’émigrant d’Europe aborde donc toujours dans un pays à moitié plein, où les bras manquent à l’industrie ; il devient un ouvrier aisé ; son fils va chercher fortune dans un pays vide, et il devient un propriétaire riche. Le premier amasse le capital que le second fait valoir, et il n’y a de misère ni chez l’étranger ni chez le natif.

La législation, aux États-Unis, favorise autant que possible la division de la propriété ; mais une cause plus puissante que la législation empêche que la pro-