Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/177

Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

sidérer comme un mode de la souveraineté du peuple ; il faut le rejeter entièrement quand on repousse la souveraineté du peuple, ou le mettre en rapport avec les autres lois qui établissent cette souveraineté. Le jury forme la partie de la nation chargée d’assurer l’exécution des lois, comme les chambres sont la partie de la nation chargée de faire les lois ; et pour que la société soit gouvernée d’une manière fixe et uniforme, il est nécessaire que la liste des jurés s’étende ou se resserre avec celle des électeurs. C’est ce point de vue qui, suivant moi, doit toujours attirer l’attention principale du législateur. Le reste est pour ainsi dire accessoire.

Je suis si convaincu que le jury est avant tout une institution politique, que je le considère encore de cette manière lorsqu’on l’applique en matière civile.

Les lois sont toujours chancelantes, tant qu’elles ne s’appuient pas sur les mœurs ; les mœurs forment la seule puissance résistante et durable chez un peuple.

Quand le jury est réservé pour les affaires criminelles, le peuple ne le voit agir que de loin en loin et dans les cas particuliers ; il s’habitue à s’en passer dans le cours ordinaire de la vie, et il le considère comme un moyen et non comme le seul moyen d’obtenir justice[1].

Lorsque, au contraire, le jury est étendu aux affaires civiles, son application tombe à chaque instant sous les yeux ; il touche alors à tous les intérêts ; chacun vient concourir à son action ; il pénètre ainsi jusque dans les usages de la vie ; il plie l’esprit hu-

  1. Ceci est à plus forte raison vrai lorsque le jury n’est appliqué qu’à certaines affaires criminelles.