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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

J’entends par jury un certain nombre de citoyens pris au hasard et revêtus momentanément du droit de juger.

Appliquer le jury à la répression des crimes me paraît introduire dans le gouvernement une institution éminemment républicaine. Je m’explique :

L’institution du jury peut être aristocratique ou démocratique, suivant la classe dans laquelle on prend les jurés ; mais elle conserve toujours un caractère républicain, en ce qu’elle place la direction réelle de la société dans les mains des gouvernés ou d’une portion d’entre eux, et non dans celle des gouvernants.

La force n’est jamais qu’un élément passager de succès : après elle vient aussitôt l’idée du droit. Un gouvernement réduit à ne pouvoir atteindre ses ennemis que sur le champ de bataille, serait bientôt détruit. La véritable sanction des lois politiques se trouve donc dans les lois pénales, et si la sanction manque, la loi perd tôt ou tard sa force. L’homme qui juge au criminel est donc réellement le maître de la société. Or, l’institution du jury place le peuple lui-même, ou du moins une classe de citoyens, sur le siége du juge. L’institution du jury met donc réellement la direction de la société dans les mains du peuple ou de cette classe[1].

  1. Il faut cependant faire une remarque importante :

    L’institution du jury donne, il est vrai, au peuple un droit général de contrôle sur les actions des citoyens, mais elle ne lui fournit pas les moyens d’exercer ce contrôle dans tous les cas, ni d’une manière toujours tyrannique.

    Lorsqu’un prince absolu a la faculté de faire juger les crimes par ses délégués, le sort de l’accusé est pour ainsi dire fixé d’avance. Mais le