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CE QUI TEMPÈRE LA TYRANNIE, ETC.

climats et sous toutes les formes de gouvernement, ne saurait être contraire à l’esprit de la justice[1].

Mais quittons ce sujet. Ce serait singulièrement rétrécir sa pensée que de se borner à envisager le jury comme une institution judiciaire ; car, s’il exerce une grande influence sur le sort des procès, il en exerce une bien plus grande encore sur les destinées mêmes de la société. Le jury est donc avant tout une institution politique. C’est à ce point de vue qu’il faut toujours se placer pour le juger.

    in civil cases}, dit-il, a privilege scarcely inferior to that in criminal cases, which is conceded by all persons to be essential to political and civil liberty. » (Story, liv. III, chap. XXXVIII.)

  1. Si l’on voulait établir quelle est l’utilité du jury comme institution judiciaire, on aurait beaucoup d’autres arguments à donner, et entre autres ceux-ci:

    À mesure que vous introduisez les jurés dans les affaires, vous pouvez sans inconvénient diminuer le nombre des juges ; ce qui est un grand avantage. Lorsque les juges sont très nombreux, chaque jour la mort fait un vide dans la hiérarchie judiciaire, et y ouvre de nouvelles places pour ceux qui survivent. L’ambition des magistrats est donc continuellement en haleine et elle les fait naturellement dépendre de la majorité ou de l’homme qui nomme aux emplois vacants : on avance alors dans les tribunaux comme on gagne des grades dans une armée. Cet état de choses est entièrement contraire à la bonne administration de la justice et aux intentions du législateur. On veut que les juges soient inamovibles pour qu’ils restent libres ; mais qu’importe que nul ne puisse leur ravir leur indépendance, si eux-mêmes en font volontairement le sacrifice ?

    Lorsque les juges sont très nombreux, il est impossible qu’il ne s’en rencontre pas parmi eux beaucoup d’incapables : car un grand magistrat n’est point un homme ordinaire. Or, je ne sais si un tribunal à demi éclairé n’est pas la pire de toutes les combinaisons pour arriver aux fins qu’on se propose en établissant des cours de justice.

    Quant à moi, j’aimerais mieux abandonner la décision d’un procès à des jurés ignorants dirigés par un magistrat habile, que de la livrer à des juges dont la majorité n’aurait qu’une connaissance incomplète de la jurisprudence et des lois.