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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

moins à sa portée qu’une législation fondée sur des précédents. Ce besoin qu’on a du légiste en Angleterre et aux États-Unis, cette haute idée qu’on se forme de ses lumières, le sépare de plus en plus du peuple, et achèvent de le mettre dans une classe à part. Le légiste français n’est qu’un savant ; mais l’homme de loi anglais ou américain ressemble en quelque sorte aux prêtres de l’Égypte ; comme eux, il est l’unique interprète d’une science occulte.

La position que les hommes de loi occupent, en Angleterre et en Amérique, exerce une influence non moins grande sur leurs habitudes et leurs opinions. L’aristocratie d’Angleterre, qui a eu le soin d’attirer dans son sein tout ce qui avait quelque analogie naturelle avec elle, a fait aux légistes une très grande part de considération et de pouvoir. Dans la société anglaise, les légistes ne sont pas au premier rang, mais ils se tiennent pour contents du rang qu’ils occupent. Ils forment comme la branche cadette de l’aristocratie anglaise, et ils aiment et respectent leurs aînés, sans partager tous leurs priviléges. Les légistes anglais mêlent donc aux intérêts aristocratiques de leur profession les idées et les goûts aristocratiques de la société au milieu de laquelle ils vivent.

Aussi est-ce surtout en Angleterre qu’on peut voir en relief ce type légiste que je cherche à peindre : le légiste anglais estime les lois, non pas tant parce qu’elles sont bonnes que parce qu’elles sont vieilles ; et, s’il se voit réduit à les modifier en quelque point, pour les adapter aux changements que le temps fait subir aux sociétés, il recourt aux plus incroyables subtilités, afin de se persuader qu’en ajoutant quelque