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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

classe supérieure, ayant des idées et des goûts à elle, et concentrant en général l’action politique dans son sein. C’était une sorte d’aristocratie peu différente de la masse du peuple dont elle embrassait facilement les passions et les intérêts, n’excitant ni l’amour ni la haine ; en somme, débile et peu vivace. Ce fut cette classe qui, dans le Sud, se mit à la tête de l’insurrection : la révolution d’Amérique lui doit ses plus grands hommes.

À cette époque, la société tout entière fut ébranlée : le peuple, au nom duquel on avait combattu, le peuple, devenu une puissance, conçut le désir d’agir par lui-même ; les instincts démocratiques s’éveillèrent ; en brisant le joug de la métropole, on prit goût à toute espèce d’indépendance : les influences individuelles cessèrent peu à peu de se faire sentir ; les habitudes comme les lois commencèrent à marcher d’accord vers le même but.

Mais ce fut la loi sur les successions qui fit faire à l’égalité son dernier pas.

Je m’étonne que les publicistes anciens et modernes n’aient pas attribué aux lois sur les successions[1] une plus grande influence dans la marche des affaires humaines. Ces lois appartiennent, il est vrai, à l’ordre civil ; mais elles devraient être placées

  1. J’entends par les lois sur les successions toutes les lois dont le but principal est de régler le sort des biens après la mort du propriétaire.

    La loi sur les substitutions est de ce nombre ; elle a aussi pour résultat, il est vrai, d’empêcher le propriétaire de disposer de ses biens avant sa mort ; mais elle ne lui impose l’obligation de les conserver que dans la vue de les faire parvenir intacts à son héritier. Le but principal de la loi des substitutions est donc de régler le sort des biens après la mort du propriétaire. Le reste est le moyen qu’elle emploie.