Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 1.djvu/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.
276
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

la guerre lésait les intérêts, refusèrent d’envoyer leur contingent.

La constitution, dirent-ils, autorise le gouvernement fédéral à se servir des milices en cas d’insurrection et d’invasion or il n’y a, quant à présent ni insurrection ni invasion. Ils ajoutèrent que la même constitution qui donnait à l’Union le droit d’appeler les milices en service actif, laissait aux États le droit de nommer les officiers ; il s’ensuivait, selon eux, que, même à la guerre, aucun officier de l’Union n’avait le droit de commander les milices, excepté le président en personne. Or, il s’agissait de servir dans une armée commandée par un autre que lui.

Ces absurdes et destructives doctrines reçurent non seulement la sanction des gouverneurs et de la législature, mais encore celle des cours de justice de ces deux États ; et le gouvernement fédéral fut contraint de chercher ailleurs les troupes dont il manquait[1].

D’où vient donc que l’Union américaine toute protégée qu’elle est par la perfection relative de ses lois, ne se dissout pas au milieu d’une grande guerre ? c’est qu’elle n’a point de grandes guerres à craindre.

  1. Kent’s commentaries, vol. I, p. 244. Remarquez que j’ai choisi l’exemple cité plus haut dans des temps postérieurs à l’établissement de la constitution actuelle. Si j’avais voulu remonter à l’époque de la première confédération, j’aurais signalé des faits bien plus concluants encore. Alors il régnait un véritable enthousiasme dans la nation ; la révolution était représentée par un homme éminemment populaire, et pourtant, à cette époque, le congrès ne disposait, à proprement parler, de rien. Les hommes et l’argent lui manquaient à tous moments ; les plans les mieux combinés par lui échouaient dans l’exécution, et l’Union, toujours sur le point de périr, fut sauvée bien plus par la faiblesse de ses ennemis que par sa propre force.