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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

Les juges fédéraux ne doivent donc pas seulement être de bons citoyens, des hommes instruits et probes, qualités nécessaires à tous magistrats, il faut encore trouver en eux des hommes d’État ; il faut qu’ils sachent discerner l’esprit de leur temps, affronter les obstacles qu’on peut vaincre, et se détourner du courant lorsque le flot menace d’emporter avec eux-mêmes la souveraineté de l’Union et l’obéissance due à ses lois.

Le président peut faillir sans que l’État souffre, parce que le président n’a qu’un pouvoir borné. Le congrès peut errer sans que l’Union périsse, parce qu’au-dessus du congrès réside le corps électoral qui peut en changer l’esprit en changeant ses membres.

Mais si la cour suprême venait jamais à être composée d’hommes imprudents ou corrompus, la confédération aurait à craindre l’anarchie ou la guerre civile.

Du reste, qu’on ne s’y trompe point, la cause originaire du danger n’est point dans la constitution du tribunal, mais dans la nature même des gouvernements fédéraux. Nous avons vu que nulle part il n’est plus nécessaire de constituer fortement le pouvoir judiciaire que chez les peuples confédérés, parce que nulle part les existences individuelles, qui peuvent lutter contre le corps social, ne sont plus grandes et mieux en état de résister à l’emploi de la force matérielle du gouvernement.

Or, plus il est nécessaire qu’un pouvoir soit fort, plus il faut lui donner d’étendue et d’indépendance. Plus un pouvoir est étendu et indépendant, et plus l’abus qu’on en peut faire est dangereux. L’origine du