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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.


MANIÈRE DE PROCÉDER DES TRIBUNAUX FÉDÉRAUX.


Faiblesse naturelle de la justice dans les confédérations. — Efforts que doivent faire les législateurs pour ne placer, autant que possible, que des individus isolés, et non des États, en face des tribunaux fédéraux. — Comment les Américains y sont parvenus. — Action directe des tribunaux fédéraux sur les simples particuliers. — Attaque indirecte contre les États qui violent les lois de l’Union. — L’arrêt de la justice Fédérale ne détruit pas la loi provinciale, il l’énerve.

J’ai fait connaître quels étaient les droits des cours fédérales ; il n’importe pas moins de savoir comment elles les exercent.

La force irrésistible de la justice, dans les pays où la souveraineté n’est point partagée, vient de ce que les tribunaux, dans ces pays, représentent la nation tout entière en lutte avec le seul individu que l’arrêt a frappé. À l’idée du droit se joint l’idée de la force qui appuie le droit.

Mais dans les pays ou la souveraineté est divisée, il n’en est pas toujours ainsi. La justice y trouve le plus souvent en face d’elle, non un individu isolé, mais une fraction de la nation. Sa puissance morale et sa force matérielle en deviennent moins grandes.

Dans les États fédéraux, la justice est donc naturellement plus faible et le justiciable plus fort.

Le législateur, dans les confédérations, doit travailler sans cesse à donner aux tribunaux une place analogue à celle qu’ils occupent chez les peuples qui n’ont pas partagé la souveraineté ; en d’autres termes, ses plus constants efforts doivent tendre à ce que la justice fédérale représente la nation, et le justiciable un intérêt particulier.