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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

Mais de quels tribunaux devait-elle se servir ? Chaque État avait déjà un pouvoir judiciaire organisé dans son sein. Fallait-il recourir à ses tribunaux ? fallait-il créer une justice fédérale ? Il est facile de prouver que l’Union ne pouvait adapter à son usage la puissance judiciaire établie dans les États.

Il importe sans doute a la sécurité de chacun et à la liberté de tous que la puissance judiciaire soit séparée de toutes les autres ; mais il n’est pas moins nécessaire à l’existence nationale que les différents pouvoirs de l’État aient la même origine, suivent les mêmes principes et agissent dans la même sphère, en un mot, qu’ils soient corrélatifs et homogènes. Personne, j’imagine, n’a jamais pensé à faire juger par des tribunaux étrangers les délits commis en France, afin d’être plus sûr de l’impartialité des magistrats.

Les Américains ne forment qu’un seul peuple, par rapport à leur gouvernement fédéral ; mais, au milieu de ce peuple, on a laissé subsister des corps politiques dépendant du gouvernement national en quelques points, indépendants sur tous les autres ; qui ont leur origine particulière, leurs doctrines propres et leurs moyens spéciaux d’agir. Confier l’exécution des lois de l’Union aux tribunaux institués par ces corps politiques, c’était livrer la nation à des juges étrangers.

Bien plus, chaque État n’est pas seulement un étranger par rapport à l’Union, c’est encore un adversaire de tous les jours, puisque la souveraineté de l’Union ne saurait perdre qu’au profit de celle des États.