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GOUVERNEMENT FÉDÉRAL.

dégénérer en pur despotisme militaire. Son inaction et son activité seraient également funestes aux gouvernés.

Le grand objet de la justice est de substituer l’idée du droit à celle de la violence ; de placer des intermédiaires entre le gouvernement et l’emploi de la force matérielle.

C’est une chose surprenante que la puissance d’opinion accordée en général, par les hommes, à l’intervention des tribunaux. Cette puissance est si grande, qu’elle s’attache encore à la forme judiciaire quand la substance n’existe plus ; elle donne un corps à l’ombre.

La force morale dont les tribunaux sont revêtus rend l’emploi de la force matérielle infiniment plus rare, en se substituant à elle dans la plupart des cas ; et quand il faut enfin que cette dernière agisse, elle double son pouvoir en s’y joignant.

Un gouvernement fédéral doit désirer plus qu’un autre d’obtenir l’appui de la justice, parce que, de sa nature, il est plus faible, et qu’on peut plus aisément organiser contre lui des résistances[1]. S’il lui fallait arriver toujours et de prime-abord à l’emploi de la force, il ne suffirait point à sa tâche.

Pour faire obéir les citoyens à ses lois, ou repousser les agressions dont elles seraient l’objet, l’Union avait donc un besoin particulier des tribunaux.

  1. Ce sont les lois fédérales qui ont le plus besoin de tribunaux, et ce sont elles pourtant qui les ont le moins admis. La cause en est que la plupart des confédérations ont été formées par des États indépendants, qui n’avaient pas l’intention réelle d’obéir au gouvernement central, et qui, tout en lui donnant le droit de commander, se réservaient soigneusement la faculté de lui désobéir.