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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

rogatives, plus l’appât est grand ; plus l’ambition des prétendants est excitée, plus aussi elle trouve d’appui dans une foule d’ambitions secondaires qui espèrent se partager la puissance après que leur candidat aura triomphé.

Les dangers du système d’élection croissent donc en proportion directe de l’influence exercée par le pouvoir exécutif sur les affaires de l’État.

Les révolutions de Pologne ne doivent pas seulement être attribuées au système électif en général, mais à ce que le magistrat élu était le chef d’une grande monarchie.

Avant de discuter la bonté absolue du système électif, il y a donc toujours une question préjudicielle à décider, celle de savoir si la position géographique, les lois, les habitudes, les mœurs et les opinions du peuple chez lequel on veut l’introduire permettent d’y établir un pouvoir exécutif faible et dépendant ; car vouloir tout à la fois que le représentant de l’État reste armé d’une vaste puissance et soit élu, c’est exprimer, suivant moi, deux volontés contradictoires. Pour ma part, je ne connais qu’un seul moyen de faire passer la royauté héréditaire à l’état de pouvoir électif : il faut rétrécir d’avance sa sphère d’action, diminuer graduellement ses prérogatives, et habituer peu à peu le peuple à vivre sans son aide. Mais c’est ce dont les républicains d’Europe ne s’occupent guère. Comme beaucoup d’autre eux ne baissent la tyrannie que parce qu’ils sont en butte à ses rigueurs, l’étendue du pouvoir exécutif ne les blesse point ; ils n’attaquent que son origine, sans apercevoir le lien étroit qui lie ces deux choses.