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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

avaient, comme je l’avais déjà dit, la même religion, la même langue, les mêmes mœurs, presque les mêmes lois ; elles luttaient contre un ennemi commun ; elles devaient donc avoir de fortes raisons pour s’unir intimement les unes aux autres, et s’absorber dans une seule et même nation.

Mais chacune d’elles, ayant toujours eu une existence à part et un gouvernement à sa portée, s’était créé des intérêts ainsi que des usages particuliers, et répugnait à une union solide et complète qui eut fait disparaître son importance individuelle dans une importance commune. De là, deux tendances opposées : l’une qui portait les Anglo-Américains à s’unir, l’autre qui les portait à se diviser.

Tant que dura la guerre avec la mère-patrie, la nécessité fit prévaloir le principe de l’union. Et quoique les lois qui constituaient cette union fussent défectueuses le lien commun subsista en dépit d’elles[1].

Mais dès que la paix fut conclue, les vices de la législation se montrèrent à découvert : l’État parut se dissoudre tout-à-coup. Chaque colonie, devenue une république indépendante, s’empara de la souveraineté entière. Le gouvernement fédéral, que sa constitution même condamnait à la faiblesse, et que le sentiment du danger public ne soutenait plus, vit son pavillon abandonné aux outrages des grands peuples de l’Europe, tandis qu’il ne pouvait trouver assez de

  1. Voyez les articles de la première confédération formée en 1778. Cette constitution fédérale ne fut adoptée par tous les États qu’en 1781.

    Voyez également l’analyse que fait de cette constitution le Fédéraliste, depuis le no 15 jusqu’au no 22 inclusivement, et M. Story dans ses Commentaires sur la constitution des États-Unis, p. 85-115.