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DU JUGEMENT POLITIQUE.

Maintenant, si on en vient à comparer le système européen et le système américain, dans les effets que chacun produit ou peut produire, on découvre des différences non moins sensibles.

En France et en Angleterre, on considère le jugement politique comme une arme extraordinaire, dont la société ne doit se servir que pour se sauver dans les moments de grands périls.

On ne saurait nier que le jugement politique, tel qu’on l’entend en Europe, ne viole le principe conservateur de la division des pouvoirs, et qu’il ne menace sans cesse la liberté et la vie des hommes.

Le jugement politique, aux États-Unis, ne porte qu’une atteinte indirecte au principe de la division des pouvoirs ; il ne menace point l’existence des citoyens ; il ne plane pas, comme en Europe, sur toutes les têtes, puisqu’il ne frappe que ceux qui, en acceptant des fonctions publiques, se sont soumis d’avance à ses rigueurs.

Il est tout à la fois moins redoutable et moins efficace.

Aussi les législateurs des États-Unis ne l’ont-ils pas considéré comme un remède extrême aux grands maux de la société, mais comme un moyen habituel de gouvernement.

Sous ce point de vue, il exerce peut-être plus d’influence réelle sur le corps social en Amérique qu’en Europe. Il ne faut pas en effet se laisser prendre à l’apparente douceur de la législation américaine, dans ce qui a rapport aux jugements politiques. On doit remarquer, en premier lieu, qu’aux États-Unis le tribunal qui prononce ces jugements est composé