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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

cité d’une part et l’incapacité de l’autre deviennent saillantes.

Mais je nie qu’il en soit ainsi quand le peuple est éclairé, éveillé sur ses intérêts, et habitué à y songer comme il le fait en Amérique.

Je suis persuadé, au contraire, que dans ce cas la force collective des citoyens sera toujours plus puissante pour produire le bien-être social que l’autorité du gouvernement.

J’avoue qu’il est difficile d’indiquer d’une manière certaine le moyen de réveiller un peuple qui sommeille, pour lui donner des passions et des lumières qu’il n’a pas ; persuader aux hommes qu’ils doivent s’occuper de leurs affaires, est, je ne l’ignore pas, une entreprise ardue. Il serait souvent moins malaisé de les intéresser aux détails de l’étiquette d’une cour qu’à la réparation de la maison commune.

Mais je pense aussi que lorsque l’administration centrale prétend remplacer complétement le concours libre des premiers intéressés, elle se trompe ou veut vous tromper.

Un pouvoir central, quelque éclairé, quelque savant qu’on l’imagine ne peut embrasser à lui seul tous les détails de la vie d’un grand peuple. Il ne le peut, parce qu’un pareil travail excède les forces humaines. Lorsqu’il veut, par ses seuls soins, créer et faire fonctionner tant de ressorts divers, il se contente d’un résultat fort incomplet, ou s’épuise en inutiles efforts.

La centralisation parvient aisément, il est vrai, à soumettre les actions extérieures de l’homme à une certaine uniformité qu’on finit par aimer pour elle-