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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

Le droit de diriger le fonctionnaire suppose le droit de le destituer, s’il ne suit pas les ordres qu’on lui transmet, ou de l’élever en grade s’il remplit avec zèle tous ses devoirs. Or, on ne saurait ni destituer ni élever en grade un magistrat élu. Il est de la nature des fonctions électives d’être irrévocables jusqu’à la fin du mandat. En réalité, le magistrat élu n’a rien à attendre ni à craindre que des électeurs, lorsque toutes les fonctions publiques sont le produit de l’élection. Il ne saurait donc exister une véritable hiérarchie entre les fonctionnaires, puisqu’on ne peut réunir dans le même homme le droit d’ordonner et le droit de réprimer efficacement la désobéissance, et qu’on ne saurait joindre au pouvoir de commander celui de récompenser et de punir.

Les peuples qui introduisent l’élection dans les rouages secondaires de leur gouvernement, sont donc forcément amenés à faire un grand usage des peines judiciaires comme moyen d’administration.

C’est ce qui ne se découvre pas au premier coup d’œil. Les gouvernants regardent comme une première concession de rendre les fonctions électives, et comme une seconde concession de soumettre le magistrat élu aux arrêts des juges. Ils redoutent également ces deux innovations ; et comme ils sont plus sollicités de faire la première que la seconde, ils accordent l’élection au fonctionnaire et le laissent indépendant du juge. Cependant, l’une de ces deux mesures est le seul contre-poids qu’on puisse donner à l’autre. Qu’on y prenne bien garde, un pouvoir électif qui n’est pas soumis à un pouvoir judiciaire, échappe tôt ou tard à tout contrôle, ou est détruit. Entre le pouvoir central et les