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MADAME MEURIOT

grand air d’Azucéna du Trouvère, montaient d’un étage inférieur. D’autres pianos, dont il n’arrivait que des notes étouffées, jouaient dans plusieurs des nombreux appartements de la maison, vaste, très peuplée, ramifiant des ailes de façon à entourer deux autres grandes cours. Un perroquet lointain, qu’on ne voyait pas, criait à chaque instant : « Jacquot, à table ! à table ! à table ! » Enfin, par-dessus la maison, par-dessus tout le quartier, planait un large ronflement, aux profondes nappes sonores, fait de mille bruits, à travers lesquels la proximité du boulevard Montmartre mettait comme l’écoulement perpétuel d’un fleuve de voitures. A cette fin de jour, quelque chose d’invisible, mais de bouillant et de fiévreux, crépitait dans le grand rectangle de ciel gris découpé par la cour. La salle à manger, au contraire, dont les angles s’emplissaient d’ombre, sommeillait déjà, dans la paix de sa luisante propreté.

Quatre heures sonnèrent. Madame Honorat, sans remuer, poussa un long soupir. II faisait tout à fait nuit, maintenant. Le cuivre de la suspension, au-dessus de la table, seul, brillait encore. Rosalie entra avec une pile d’assiettes.

— Madame n’a pas froid ?

— Oui, Rosalie, fermez. Je ne suis pas très bien : mes douleurs…

Mais quand la lampe fut apportée sur le buffet, dès que Rosalie eut commencé à déplier la nappe, une nappe toute propre, madame Honorat ne sentit plus ses maux. Le moindre geste de la domestique mettant son couvert, l’intéressait. « Un peu plus à droite, cette assiette. Du sel dans la salière… N’oubliez pas les petits verres à bor-