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JOURNAL DE MONSIEUR MURE

pendule. Baignée dans un crépuscule bleuâtre, la place agrandie. À gauche, le boulevard de Clichy ; à droite, le boulevard des Batignolles, se continuant l’un l’autre, très larges, donnant l’idée d’une ceinture sans fin faisant le tour de Paris. En face, les devantures contiguës de deux cafés, mettant un flamboiement à l’entrée de la rue de Clichy qui descend vers le cœur de la ville. Hélène, au bout du trottoir, arrêtée, semblait indécise, Qu’allait-elle faire ? traverser la place, entrer au bureau d’omnibus, demander un de ces fiacres de la station, qui attendaient à la file, avec leurs lanternes rouges, vertes, jaunes, allumées ? Peut-être continuer le long des boulevards extérieurs une promenade sans but ? Peut-être, revenir tout de suite sur ses pas, n’avoir pas le courage d’aller plus loin, rentrer ?

Un orgue de Barbarie criard s’entendait au milieu du boulevard des Batignolles. D’un petit café-concert voisin, enclavé au premier étage d’un hôtel garni louche, des roulades de baryton langoureux bramant l’amour arrivaient, avec accompagnement de piano. À côté du bureau de tabac-épicerie, une gargote, où l’on voyait des gens dîner à des tables sans nappes, répandait une odeur de friture. Devant le kiosque de la marchande de journaux, une fille en cheveux, son petit chien sous le bras, achetait un journal d’un sou. Des hommes vaguement souls rasaient les maisons d’un pas chancelant. Et Hélène hé-