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JOURNAL DE MONSIEUR MURE

les promeneurs. Mon indécision cessa, et je déchirai la lettre.

— J’y vais de suite !

Et, doublant le pas, je pris la rue de la Chaussée-d’Antin. J’entrai pourtant dans un bureau de tabac, où je choisis un cigare très cher et blond. Place de la Trinité, je regardai un moment le square. Des enfants jouaient sur le gravier des allées, tantôt à l’ombre des branches, tantôt dans du soleil. Autour d’eux, des oiseaux voletaient sur le gazon fraîchement arrosé. De jeunes mères, de l’âge d’Hélène, assises dans les fauteuils rustiques, causaient, brodaient. Alors, je vins fumer mon cigare dans le square, sur une chaise. La loueuse se présenta, me tendit le petit bulletin. En lui donnant ses deux sous, n’avais-je pas des tentations de lui parler d’Hélène, de la lui dépeindre, de lui demander si une dame comme ceci… comme cela… ne venait pas quelquefois avec une toute petite fille !… Non ! elle ne s’y était peut-être jamais arrêtée, Hélène, dans ce square minuscule, élégant, mais d’une élégance de grisette, bon pour les ébats de la marmaille des boutiquiers du quartier… Allait-elle souvent au parc Monceaux ? au jardin des Tuileries ? au Bois ? À quel coin heureux et charmant de Paris accordait-elle ses préférences, pour y venir tous les jours lire, travailler, rêver ? Quelle était son existence depuis ces cinq ans, depuis le matin où elle m’é-