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JOURNAL DE MONSIEUR MURE

nous sentons chaque jour se dissoudre un peu de nous-mêmes, j’ai marché là. D’ailleurs, à vrai dire, j’étais moins navré qu’à la minute où j’écris cette phrase. La moiteur qui me mouillait le front et me descendait le long de l’échine, n’était pas sans volupté. Mes pieds enfonçaient dans un épais tapis de poussière. Mes yeux clignotaient au grand soleil, se fermaient. En les rouvrant, contre le haut mur, je voyais bien, çà et là, une lèpre de mousse calcinée et noire, sorte de suintement de la mort. Mais, dans le champ opposé, un paysan labourait en gourmandant son mulet : — « Hue ! fainéant ! tire fort ! » — Et le babil d’un petit oiseau, que je ne voyais pas, frétillait dans une haie.

Puis, tout à coup, il travers la grille de la porte, les pierres blanches des tombes. Après le machinal coup de chapeau de l’entrée, presque tout de suite, à droite, je suis arrivé devant le tombeau de ma famille. Le nom que je porte ; « Mure », gravé plusieurs fois dans la pierre froide, précédé de prénoms et suivi de deux dates… Oui ! mon père ! ma mère ! De la place pour moi !… Paf ! tout à coup, au lieu de m’apitoyer sur moi et sur les miens, une distraction : le sol, détrempé par la pluie s’était affaissé, et la pierre tombale penchait à droite ! En m’éloignant, je pensais encore à la réparation qu’il faudrait faire : « Je reviendrai avec mon maçon… Pourvu encore que