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JOURNAL DE MONSIEUR MURE

quentent maintenant le même cercle, jouent avec les mêmes cartes, pontent l’un sur l’autre et se font des banco, au bal valsent avec la même fougue, et, à l’heure du cotillon, se rencontrent parfois, le père et le fils, aux genoux de la même femme. Avec cela, M. de Lancy passe pour un excellent mari, sa femme l’adore. Chaque dimanche, le père, le fils et la mère vont ensemble à la messe de midi.

Madame de Lancy, elle, a une seule passion : recevoir ! L’hiver, dans son hôtel : l’été, dans l’espèce de masure attenante à une ferme et flanquée d’un pigeonnier qu’on décore du nom de château de Lancy, il faut qu’elle donne des fêtes. C’est sous cette forme particulière que se manifeste chez elle cette soif de plaisir qui est la caractéristique de la famille. Son mari, un sanguin bon vivant, satisferait à meilleur marché ce besoin de mobilité et d’agitation resté aussi impérieux en lui que chez son fils. Mais elle, la poitrine un peu plate, élancée et pâle, nerveuse, de grande race, ayant dans son enfance mis le pied sur le seuil du véritable monde parisien, quoi d’étonnant que, du jour où elle s’est sentie plongée dans le bain d’or de la fortune, elle ait voulu jouir avec les raffinements de sa nature ? Elle a dû rester ce qu’elle était : religieusement élevée, honnête par circonstance et par tempérament, mariée à l’homme qu’il lui fallait, tout me porte à la croire encore une des plus honnê-