Page:Alexis - Le Collage.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
LE COLLAGE

Et il lui tendit un billet de banque tout neuf, rapidement gagné, en se privant de tout, en travaillant des quatorze heures par jour.

— Allez ! ça ne pressait pas… Et j’espère que vous n’êtes pas revenu exprès ?

— Je suis revenu pour toujours !

Jacques s’assit, plus ému qu’il n’aurait cru, demandant du café au lait, faisant l’affamé, pour avoir un prétexte de rire aux éclats, surtout pour ne pas fondre en larmes. Quand la fruitière lui apporta l’écuelle fumante, il baisa ces deux lourdes mains rouges, salies de charbon.

— Mais vous êtes devenu fou ! monsieur Clouard.

Oui ! l’échoppe, l’établi, le chat roux, la rue Winkelried, la fruitière et la fruiterie, il était heureux de tout retrouver. Ici, du moins, ni les choses, ni les gens, n’avaient eu le temps de changer.

— Monsieur Clouard ? dites-moi… Aujourd’hui, est-ce qu’ils sont tous comme ça, dans votre Paris ?

Lui, subitement grave et très pâle :

— Ne me parlez jamais de Paris, madame… Ni de la France, qui n’a pas voulu de moi, où ma place est prise, où je ne remettrai plus les pieds…

Puis, après un long soupir, mélancoliquement :

— La Suisse est devenue ma patrie !

Et il commença à couper du pain dans son café au lait.